D’où vient qu’un songe m’emporte
Jusqu’ au seuil de la porte
Qu’entrouvre l’Eternité
C’est ici que l’homme arrive roulé
Dans le flot des temps
J’entre dans le port de l’âme
Je vais m’assoir dans la rame
La place que j’y réclame
Est vide depuis longtemps.

Dieu, je te vois ! Comment pénétrer dans ta gloire ?
Détourne mes regards, ne m’anéantis pas
Je sens mon front brisé par ton char de victoire
Dans cet air lumineux qui soutiendra mes pas ?

Je vois tout l’univers rajeuni par la tombe
Des êtres infinis que je ne puis compter
Ô mon Dieu, je succombe
Laisse-moi m’arrêter
Je m’arrête pour me plaindre
De ce monde d’où je sors
Toujours espérer et craindre
Et moi, qui pleurais les morts.

Ne savais-je pas encore
Que l’esprit devait éclore
De cette éternelle aurore
Qui vit l’Eternel créant
Qu’avec toi l’âme ravie
Pour jamais est assouvie
Que la mort est la Vie
Que la Vie est le néant !

Je le savais dès l’enfance
Je le disais dans mes nuits
Et l’espoir de ta présence
Calme seul tous mes ennuis.
Aujourd’hui je sais tout, je te vois, et je t’embrasse
L’avenir qui n’est pas, le passé qui n’est plus
Les temps qui doivent naître et les temps révolus.
Je conçois l’espace, l’univers s’efface, et devant ta face

Tout s’unit à toi
Je vois tout s’y peindre
Je vois, sans les plaindre
Les mondes s’éteindre
Et fuir devant moi.
J’ose marcher vers toi, j’ose lever les yeux
Un seul de tes regards me révèle à moi-même, ô mon Dieu.

Laisse-moi pour un jour retourner sur la terre
Là, sur ma tombe, sous ma croix solitaire
J’irai m’assoir en souriant
Et dire » je vis toujours » à ceux qui me regrettent
Qui, posant leurs genoux sur les fleurs qu’ils y jettent
Viennent me pleurer en priant.


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